Nous vivons sur
une île de placide ignorance,
Au sein des noirs
océans de l’infini,
et nous n’avons
pas été destinés à de longs voyages.
H.P. Lovecraft. « Le mythe de Cthulhu »
Ici, il est temps de se
poser la question : mais d’où vient le nom de Maucor, s’il ne vient pas de
ce village béarnais ? D’un autre lieu du nom de Maucor, certes. Mais quel
lieu pouvait avoir donné à son seigneur un tel nom ?
L’Institut
Géographique National, l’IGN, digne successeur des Cassini, répertorie
aujourd’hui en France :
·
2 toponymes du nom de Maucor,
·
7 toponymes du nom de Mauco,
·
aucun du nom de Maucoo.
L’étonnant n’est
pas de découvrir un deuxième toponyme Maucor, mais qu’il se situe en Bourgogne.
Qu’allons-nous faire là-bas ? Méfiance et curiosité.
Sur la petite
commune de Bouze-lès-Beaune, parmi les vignes de la Côte de Beaune, il existe
un site nommé « le champ Maucor », lieu-dit non habité. Ici sont
produites les appellations bourgogne aligoté, bourgogne hautes côtes de beaune,
bourgogne passe-tout-grains ou pommard… entre Nuits-Saint-Georges et Meursault.
Mais ne nous laissons pas distraire.
Quant aux
toponymes Mauco, plus nombreux, s’ils nous mènent aussi hors du Béarn, ce sera
sur des terres de Gascogne. Mais toujours il s’agit de noms de lieux habités,
commune ou maison isolée ! A Lasseube, au nord de Morlaàs, à
Lagarde-Hachan dans le Gers, à Dax, à Bas et Haut-Mauco dans les Landes, à
Bieujac en Gironde. Un nom disséminé comme des champignons dans un pré, autour
d’une géniteur disparu. Il nous faudrait trouver le cœur géométrique de ces
lieux, qui devrait en être le cœur historique.
Ce cœur semble
être au sud des Landes, en Chalosse. Ici se trouvent Haut et Bas-Mauco, deux
petites communes.
MAUCO : Bas et
Haut. Landes. 185 h. 33-68 m. 4 km de Saint-Sever.
Le dictionnaire de
P.Jouanne nous renseigne une fois de plus : Mauco, Haut et
Bas, n’ont pas d’école, pas de poste, et surtout pas de château, même en
ruine ! Il n’aurait donc pas existé de seigneur de Mauco ? La maxime «Nulle
terre sans seigneur» n’aurait-elle pas été appliquée ? Dans une digne
chasse au trésor il y a toujours un parchemin mystérieux pour donner la clé.
Il faut se
résoudre – de mauvais cœur diront les bons esprits - à quitter le Béarn,
nonobstant l’absence de château à Mauco, en Chalosse. Il faut quitter le
Béarn : aucun seigneur de Maucor n’y a été recensé avant 1481, avant Noble
Francès.
Francès en
béarnais. François en français. Le Français ! Le Béarn souverain avait
pour voisin la France. Fait notable, du temps de Francès, le souverain de Béarn
s’appellait Francès-Fébus, François-Phébus en français. Ce qui fait écrire à
l’historien béarnais du Béarn, Pierre Tucoo-Chala : Le nom de
François-Phébus est étrange ; il cache en fait tout un programme politique
et une orientation nouvelle. Il veut dire : une politique des vicomtes
de Béarn tournée vers la France.
Tucoo-Chala nous donne
aussi la clé qui ouvrit au Béarn, deux siècles plus tôt, la porte du monde
gascon. Il dit en substance : grâce à une politique matrimoniale
remarquable – des mariages biens pe(n)sés – due à Gaston VII (1229-1290), les
vicomtes de Béarn étaient devenus vicomtes de Marsan et de Gabardan, au nord du
Béarn. Soudé au Marsan et au Gabardan, le Béarn constituait - au XIV°s. - un
bloc occidental participant au monde gascon.
En 1385, au moment où à Abos, Morlaàs,
Sendets et Sarpourenx vivaient des
Maucor, alors que le village de Maucor n’existait pas encore, le Béarn était
intimement lié à ces terres voisines, pourvoyeuses de seigneurs. Voilà une
belle clé. Nous nous devons d’aller explorer cette partie de la Gascogne,
rattachée au Béarn après un mariage judicieux.
Qui craint les
feuilles, n'aille pas au bois
Vieux proverbe
Convaincus
par tant d’arguments, nous voilà partis – à cheval et sans attendre – pour
d’autres contrées.
De Maucor, il suffit
de suivre le cours du Luy de France, le bien nommé, qui nous mène, au
nord-nord-ouest, en Chalosse, vicomté de Marsan, Gascogne, France.
Rappelez-vous, le dictionnaire de P.Joanne nous l’indique : Maucor est
situé sur une colline entre le Luy de France et le Luy de Béarn.
Nous passerons
Thèze, puis Arzacq et Arraziguet, aux noms en «ara» (terre, région, pays) à la
racine si lointaine qu’ils nous transportent au millénaire où des hommes
d’Afrique sont venus ici par la péninsule ibérique; nous laisserons à l’ouest
des lieux aux noms inquiétants : Malaussanne, le «mauvais terrain
pierreux», puis Hagetmau, le «mauvais bois de hêtres», le ruisseau de Malabat, mala
vath, la «mauvaise vallée», à Doazit.
Voici
Saint-Sever Cap de Gascogne, sur les derniers contreforts pyrénéens, dominant
l’Adour qui protège la cité par le nord. Cap, extrémité d’où l’on domine une
partie de la plaine gasconne.
Saint-Sever,
archiprêtré de Chalosse, diocèse d’Aire-sur-l’Adour et son abbaye bénédictine,
élevée en 982.
Saint-Sever dont
ici on ne prononce pas le «r» final, comme on ne prononça plus parfois le «r»
de Maucor.
Saint-Sever célèbre pour ses cadets et ses
poulets élevés au grain et en plein air.
Au
nord, au-delà de Saint-Sever, après avoir traversé l’Adour, souvent
infranchissable à la mauvaise saison, une grande surprise…
Du temps de
Francès, point de village ! Point de Haut-Mauco ou Bas-Mauco, mais … « La Forêt
de Maucor »[1][42] ! Une vaste forêt de chênes que les
pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle venant de Vézelay par Bazas et
Saint-Pierre-du-Mont – de Marsan - devaient traverser pour gagner, à
Saint-Sever[2][43], le gîte de l’hôpital du Bas du
Pouy. Quatre lieux, quatre heures de marche dans une forêt sombre, épaisse,
humide. Quatre heures d’inquiétude. C’est, en gascon comme en béarnais, «la
forêt des tourments», sans aucun doute !
Cette grande et inquiétante forêt de chênes
de Maucor n’était pas l’exception. Hagetmau, la «mauvaise forêt de hêtres»,
toute proche, est là pour rappeler qu’après Saint-Sever, sur le chemin de
Saint-Jacques, une autre rude étape attendait le pèlerin.
Le moine français
Aymeri Picaud fit le pèlerinage de Compostelle en 1123. De longs mois de
marche à raison d’une moyenne de trente kilomètres par jour pour traverser la
France et le nord de l’Espagne. Dans ce qui allait être reconnu comme le premier guide touristique au monde, le Codex
Calixtinus, son «Guide du pèlerin de Saint-Jacques de Compostelle», écrit
en latin et publié en 1139, il identifie les zones dangereuses à traverser. La
plus inquiétante reste pour lui celle des landes bordelaises, la Grande Lande.
Avait-il traversé ensuite la Forêt de Maucor ? Il en aurait parlé !
«Forêt
des tourments» où vivaient d’autres hommes inquiétants, des paysans glaneurs de
baies, déterreurs de racines, des charbonniers, des forgerons, des boisilleurs,
scieurs de long, des quêteurs de mile sauvage, des ermites, lointains
descendants des druides, que l’on consulte comme des médecins ou des chamanes,
des hors-la-loi, des routiers, des pillards, enfin des exclus. La forêt profonde était un lieu maléfique, où les
hommes des villages n’osaient s’aventurer, parce qu’ils craignaient les
sorcières, les brouches, et toutes les fées, si nombreuses en piémont
pyrénéen. On revoit les grandes peurs du Moyen-Age, la peur d’être attaqué,
dépouillé, en traversant les forêts où régnait le «mal», le Malin, le Diable.
«Forêt des
tourments» d’où les loups sortaient pour attaquer les hommes lorsqu’ils les
sentaient faibles.
C’était aussi le
lieu de refuge, dans la forêt de Maurois - Mau-rois ! - pour Tristan et Iseult, dans la forêt de
Brocéliante pour Lancelot et Perceval, dans la «gaste»[3][44], l’hospitalière forêt pour Huon de
Bordeaux.
La forêt c’était
le lieu où vivaient les fées, qui ne supportaient pas le son des cloches. Mais
les cloches de l’abbaye de Saint-Sever paraissaient bien loin !
La forêt était un
lieu de choix pour les monastères médiévaux, fer de lance d’une reconquête des
terres et des âmes. Il fallait nourrir une population plus nombreuse. Les
essarteurs du haut Moyen-Age défrichèrent la forêt autour des abbayes. Ils
nommèrent des lieux. Des noms sont venus remplacer ou s’ajouter aux anciens.
Ils donnèrent aux terres conquises les noms de Lartigue, Artigau, Artigue,
Artiguelouve, Artiguelongue, Artiguebielle, Artix. Dans la forêt de chênes, ces
lieux s’appelaient Forcade, Fourcade, Lafourcade, Hourcade. De même dans le
bois de hêtres ils s’appelaient Fayet, Mifaget, Haget. Et lorsque le lieu
inspirait des sentiments de crainte, d’inquiétude, de danger ils ont dit :
Hagetmau, Maubourguet, Malabat, Lucmau (mauvais bois, du latin lucus),
Maucor, ou tout simplement Mau.
Voilà trouvée la
signification de Maucor !
Maucor est, bien
banalement, un toponyme. Ce qui confirme son essence «pyrénéenne», au sens
large, et rejette sans aucun doute possible l’idée qu’il s’agisse d’un simple
sobriquet ! Mais c’est un toponyme exceptionnel. Contrairement à la
plupart, il n’est pas purement descriptif de la géographie du lieu, il n’est
pas neutre. Il est né des forts sentiments inspirés à l’homme par le
lieu ; il rappelle à tous et à tout moment les risques, dans cette
ambiance de peurs lancinantes vécue par nos ancêtres, au Moyen-Age. Voilà qui
donne au nom de Maucor une identité originale, une saveur particulière.
Si vous êtes dans des lieux
glissants, humides, marécageux et malsains, sortez-en le plus vite que vous
pourrez... s’il y a des forêts aux environs, laissez-les derrière vous.
Ainsi parlait le Chinois Sun Tsu[4][45] il y a bien longtemps. Il parlait de
«lieux de mort» :
… par des lieux de mort,
j’entends tous ceux où l’on se trouve tellement réduit que, quelque parti que
l’on prenne, on est toujours en danger ; j’entends des lieux dans lesquels si
l’on combat on risque évidemment d’être battu, dans lesquels si l’on reste
tranquille, on se voit sur le point de périr de faim, de misère ou de maladie ;
des lieux, en un mot où l’on ne saurait rester et où l’on ne peut survivre que
très difficilement en combattant avec le courage du désespoir.
La Forêt de Maucor, ainsi nommée par ceux qui
la connaissaient, présageait mal pour les pèlerins engagés sur la route de
Compostelle. Y avait-il un meilleur choix de passage ? Non, assurément
pas, sinon à aller se risquer sur un autre gué.
Sun Tzu ajoute :
Quelque critique que puisse
être la situation et les circonstances, où vous vous trouvez, ne désespérez de
rien; c’est dans les occasions où tout est à craindre que qu’il ne faut rien
craindre. C’est lorsqu’on est environné de tous les dangers qu’il ne faut en
craindre aucun.
Forts de cet enseignement universel, et après
quelques prières dans la pauvre église de Saint-Médard, ils se groupaient et
s‘engageaient dans la forêt pour rejoindre Saint-Sever, au-delà de l’Adour. Et si
le gué est profond, traverse le tout
habillé, s’il ne l’est pas, retrousse ton vêtement ajoute Confucius, citant
le Livre des Odes.
Le moine Picaud, pour la suite du voyage,
donne d’autres conseils pratiques :
A la sortie de ce pays, le chemin de Saint-Jacques croise deux fleuves
qui coulent près du village de Saint-Jean-de-Sorde, l’un à droite, l’autre à
gauche; l’un s’appelle gave, l’autre fleuve[5][46]; il
est impossible de les traverser autrement qu’en barque. Maudits soient les
bateliers ! En effet, quoique ces fleuves soient tout à fait étroits, ces gens
ont cependant coutume d’exiger de chaque homme qu’ils font passer de l’autre
côté, aussi bien du pauvre que du riche, une pièce de monnaie et pour un
cheval, ils en extorquent indignement par la force, quatre. Or leur bateau est
petit, fait d’un seul tronc d’arbre, pouvant à peine porter leurs chevaux;
aussi quand on y monte, faut-il prendre bien garde de ne pas tomber à l’eau. Tu
feras bien de tenir ton cheval par la bride, derrière toi, dans l’eau, hors du bateau,
et de ne t’embarquer qu’avec peu de passagers, car si le bateau est trop
chargé, il chavire aussitôt.
L’Apocalypse à Saint-Sever
Les
épidémies, les famines, les maux, frappaient les habitants des villages et des
bourgs. Le mal ardent, maladie terrible était due à l’ergot du seigle, un
champignon hallucinogène, mais ils ne le savaient pas . La peste tua
jusqu’à la moitié de la population ; et aussi le choléra, la tuberculose,
le mal napolitain[6][47].
Dans cette
ambiance peu propice à la rêverie, près de cette forêt, est né au XI°s. dans la
tête et des mains des moines bénédictins de l’abbaye de Saint-Sever, le livre
de l’illustration de l’Apocalypse de Saint-Sever.
Vers 1030, ces
moines ont magnifiquement illustré l’Apocalypse de Jean, livre annonciateur de
la fin des temps pour certains. Un livre qui aurait été écrit au premier
siècle, dans lequel il est dit que le Diable se libèrerait dans mille
ans…justement. Plus exactement, ils ont enluminé les commentaires de
l’Apocalypse de Jean, du moine espagnol Beatus, écrits vers 950.
Ils ont pris au
mot le sens symbolique des mille ans, parce que Satan était partout en ce
temps, avec, autres fléaux, les brigands, les guerres, les invasions, les chevauchées
des seigneurs voisins, tuant, créant la famine, apportant la mort sous toutes
ses formes.
Les
chevaliers de l’Apocalypse de Saint-Sever piétinent les cadavres nus qui
bientôt ressusciteront par le jugement
final[7][48]. La queue des chevaux est une tête de
serpent, leurs têtes ressemblent à des dragons cracheurs de flammes. Pour ces
hommes d’église les chevaliers incarnaient la violence, le trouble, c’est à
dire le mal. Une autre superbe illustration montre un édifice militaire, les
remparts d’une ville cernée de tours, qu’il entoure d’un serpent maléfique.
Avec la présence
des Bénédictins puis des Jacobins à Saint-Sever et à Morlaàs depuis 1061, des
liens existaient entre ces deux importantes cités. Saint-Sever et Morlaàs
partageaient un goût commun pour l’Apocalypse. Le portail
roman
de l'église Sainte-Foy de Morlaàs, édifiée en 1080 par Centulle IV, vicomte
de Béarn et d'Oloron, évoque la Vision que Saint Jean eut du Ciel et qu'il
raconte dans l'Apocalypse, dit aujourd’hui le guide, avec sur le tympan ses
vingt-quatre vieillards symboliques. Les Notices
nous rappellent qu’en 1131 Centulle
V donne au monastère de Cluni, déjà patron du prieuré de Morlaàs, fondé en
1061, le cens de la moitié du bourg de Saint-Nicolas. Saint-Nicolas qui
justement servit de base, avec le bourg de Lar, à la création de Maucor.
Centulle V fit comme les ducs de Gascogne des X° et XI°s., qui avaient
abandonné au clergé, pour «le salut de leurs âmes», une part importante de
leurs domaines dans les pays de l’Adour. Le «monastère de Cluni»,
l’abbaye de Cluny si puissante, contrôla jusqu’à
près de mille deux cents monastères en Europe occidentale. Le prieur de
Sainte-Foy de Morlaàs était aussi directement nommé par l’Abbé de Cluny.
Ainsi, en l’an
mil, les abbayes ont cru vivre la fin du monde et Saint-Sever resplendissait
dans les ténèbres du haut Moyen-Age. Des moines y établire une étonnante carte
du monde. Saint-Sever y avait sa place.
Le moine Dom du Buisson écrivit plus tard une
histoire du monastère de Saint-Sever - Historia monasterii S.Seberii –
certainement digne d’intérêt pour les lecteurs du latin. Pour nous l’intérêt
est très précis : Dom du Buisson y cite un certain Unaldus,
vicecomes de Malker, contemporain de Etienne Garcia, l’illustrateur de l’Apocalypse.
Pour Régis de Saint-Jouan, en bon latiniste, il s’agit évidemment de Unaud,
vicomte de Maucor ! Régis nous a trouvé un ancêtre patronymique du
XI°s.. Alléluia ! Maucor est né ici !
Cette vaste forêt de chênes,
entre Adour, Midou et Midouze, avant d’être sillonnée par les pèlerins de
Saint-Jacques, devait être magnifiquement impressionnante.
Non loin de là, Saint-Sever rayonnait. Le
droit romain avait marqué la région.
Les paroissiens avaient des droits sur les forêts : Chacun Parroissien
peut prendre des arbres és bois communs de la Paroisse, pour sa provision de
ligne, de bois et fuste, pour bâtir en la Parroisse, et non pour vendre ne
tirer hors de ladite Parroisse.[8][49] Puis, contrevenant à cette tradition,
les souverains venus du Nord tentent d’appliquer ici la maxime «Nulle terre
sans seigneur» et commence la distribution des terres sous forme de fiefs.
L’histoire chronologique de la Forêt de
Maucor, devenu fief, est inspirée de l’article du colonel Jean de Lobit «La
“forêt” de Mauco» paru en juin 1956 dans le Bulletin de la Société de
Borda, lui-même inspiré des documents rassemblés par les avoués de
Mont-de-Marsan et Saint-Sever, en vue de défendre les droits des héritiers
du duc de Bouillon sur les débris du duché d’Albret usurpés pendant la
Révolution. Incontinent je m’insurge contre l’usage abusif de ces
guillemets par Jean de Lobit, «historien» compilateur, pour désigner la Forêt.
Ils sont irrespectueux, ne faisant référence qu’à la situation présente. Même
si la «forêt de Maucor» est, hélas, devenue «bois de Mauco» elle n’en a pas
moins été une grande forêt de chênes légendaire. Oserait-on parler ainsi, avec
des guillemets, du «pont» d’Avignon, sous le prétexte qu’il a été
partiellement détruit ? La situation du pont est pourtant bien pire que
celle de notre forêt : ce qui en reste n’assure plus la fonction de pont,
même partiellement, alors que ce qui reste de la Forêt de Maucor assure encore
relativement la fonction de forêt. J’ai dit.
1274, le 13 juin, eut
lieu un accord et partage entre Monsur Na Ramon Arroubert, vicomte de Tartas et
Madame Na Marie, dame de Cauna, sa belle-sœur, relativement à la forêt de Mauco
et Senas er le péage de Cauna sur la rivière Adour. [9][50]
1276, le 12 avril, Arnaldus de Marcio, son
mari(?), reconnaît tenir du roi d’Angleterre, Edouard I, souverain sur la
Guyenne, le château de Cauna et avoir des droits sur la terre de Maucor. Castrum
de Caunar et medietatem vic. de Malcor,
suivant les titres qu’elle fait valoir.
1287, les co-seigneurs de Maucor, na Marie de
Cauna et le vicomte de Tartas, cherchent à attirer et fixer une population
«émigrée» de laboureurs. Promesse de droits de bois pour bâtir, bois mort pour
chauffer, soutrage pour l’engrais des terres, pâturage pour le bétail, panage
et glandage pour les porcs… contre monnaie sonnante et trébuchante, contre cens
et redevance pour ces «usages». (Ils) padouent de tout bois non portant
fruits, de thuye, de fougère et d’herbe, ainsi que de ce qui est nécessaire
pour couvrir leur maison s’ils en ont.
S’ils en ont…Quelques laboureurs
s’installent, mais abusent de leur «droit d’usage» Ils dévastent de larges
espaces de forêt qui deviennent landes. Seule une partie est mise en culture.
Le 5 janvier 1308, Amanieu d’Albret (Albret,
pays des lièvres, de leporetum) achète l’une des co-seigneuries de
Maucor au vicomte de Tartas (Tartas, pays des chênes-liège, de tartassu),
dépourvu de descendance. Puis le temps passe…du moins Jean de Lobit laisse
passer près de deux siècles et demi.
1548, Marguerite de Cauna, épouse du béarnais
Paul, baron d’Andoins, vend sa dot à Henri II, roi de Navarre, sire
d’Albret. Celui-ci voulait agrandir son domaine pour en faire un duché, ce que
le roi de France, un autre Henri II, lui accorda.[10][51] Elle
a promis et accordé faire
bendition (…) de la terre et la seigneurie de Maucor, assise en la sénéchaussée
des Lannes, au siège de Saint-Sever, avecques toute justice haulte moyenne et
basse, cens, rentes, et aultres droits que lad damoiselle a en la forest de
Maucor et deppendantes dicelluy (…) pour le pris que entre euls il sera
convenu…
(Elle a) en oultre promis et
accordé ne copper, demolir, ne endomager lad forest de Maucor (…)
Par trois fois, dans l’acte de vente, Maucor
a gardé son «r» !
1556, Mauco, baronnie, quitte Saint-Sever
pour rejoindre la nouvelle sénéchaussée de Tartas installée par Jeanne
d’Albret.
1621, Louis XIII concède aux Jacobins de
Saint-Sever deux cents journaux dans la Forêt de Mauco, à prendre au quartier
de Cénas, le futur Bas Mauco. Mais on n’y trouve que cent journaux disponibles…
1651, le duc de Bouillon est contraint par
Anne d’Autriche de céder au roi de France les seigneuries de Sedan et Raucourt,
en échange de terres de moindre valeurs stratégiques…dont la co-seigneurie de
Mauco. Mais la Fronde vient troubler la Guyenne. Les lettres patentes, qui
rendent officiel ce contrat, ne seront enregistrées qu’en 1662.
1652, La Forêt de Mauco est au cœur des
affrontements entre les troupes de Monsieur le Prince, nouveau gouverneur de
Guyenne, et celles fidèles au jeune roi. Henry de Laborde-Péboué, cadet
de Gascogne célibataire (bon) vivant chez son frère aîné, à Doazit, près de
Saint-Sever, voit ainsi l’Histoire[11][52] :
La vendange était faite au
commencement de septembre, mais personne n'achetait point de vin à aucun prix,
à la fin d'août 1651. C'était que pour lors on commença à parler qu'il y avait
dispute et grande guerre entre le roi de France et M. le Prince ; M. ledit
Prince arriva pour lors à Bordeaux pour être reçu gouverneur de la Guienne. Le
roi était alors en âge de treize ans, tout le monde désirait la venue de
Monsieur le Prince, croyant être à la fin de la guerre, mais ce fut bien le
contraire, car Monsieur le Prince se fit payer les tailles par force et envoya
grand nombre de cavaliers en Chalosse.(…) Lesdits cavaliers demeurant longtemps
sur le pays fesant de grands ravages.
En janvier 1652, M. de
Poyanne alla avec ses cavaliers attaquer les cavaliers de M. le Prince, en la
Lande, au lieu nommé d'Arengosse, et en tua 10 et en mena prisonniers 50 à
Dax(…) En novembre 1652, les cavaliers de M. de Poyanne vinrent en Chalosse et
firent de grands ravages en Chalosse. Alors la mesure de froment valait 3 liv.
10 s., mesure de blé 3 liv., et le vin à bon compte, personne n'en achetait
point.
L'on fesait de l'eau-de-vie à Doazit
et s'y brûlait grand vin de jour et de nuit.
En décembre 1652, le temps était fort beau et le froment sorti par
les champs, et sur la fin dudit décembre 1652, il arriva à Tartas un commandant
de M. le Prince nommé M. Balthazar avec grand nombre de cavaliers, et d'abord
qu'il fut à Tartas, il alla au Sabla de Dax mettre le feu à la maison de M. de
Poyanne et fit de grands ravages et s'en retourna à Tartas, et se saisit aussi
du château de Cauna (…) Et à la suite arriva M. de Candalle, fils de M.
d'Epernon, avec fort grand nombre de gens fesant pour le roi, et se retira au
Mont-de-Marsan et à Saint-Sever.
Embuscade (de l’italien imboscare, «se
cacher dans la forêt») :
Le 28 décembre 1652, M. de Doazit
en compagnie de M. de Bonnaguet son fils, partit de Doazit pour aller rendre
visite audit M. de Candalle, mais malheur fut pour eux, car, étant au bois
de Mauco, ils furent pris prisonniers par un commandant de Balthazar nommé
Lartot et les mena audit Tartas ; et au bout de six jours, M. de Doazit eut
permission d'aller jusqu'à Doazit.
Les cavaliers de Balthazar
font tous les jours des courses par toute part et font de grands ravages.
«Escota si plau», écoute s’il pleut :
Le commencement de l'an 1653
est fort à craindre. Nous avons le grain fort cher, la mesure froment 3 liv. 15
s., mesure blé 3 liv. 4 s., mesure millet 2 liv. 15 s., mesure avoine 2 liv.,
le quintal de foin à 3 liv., et il ne se trouve point ni grain ni fourrage ;
nous sommes à la grande faim.
Le 8 janvier 1653 la pluie a
commencé en telle façon que l'Adour est devenue un peu grande, en telle façon
que les gens de Balthazar ne peuvent passer l'Adour à gai, ce qui a fort
soulagé les maisons de deçà l'Adour.
1676. Un garde des bois et des chasses a pour
charge de défendre les intérêts des seigneurs.
Vers 1700, le sieur
Cabannes, nouveau baron de Cauna et Mauco, fait établir une tuilerie pour
laquelle il fallut abattre une grande quantité de bois. Une bataille s’engage
avec les «ayant droit d’usage», se plaignant des abus auprès du duc de
Bouillon, l’autre co-seigneur. Mais les dévastations continuent. On reporte que
le sieur Lafitte, Conseiller au Sénéchal de Saint-Sever, fit abattre vingt
chênes pour que son frère, prêtre prébendier, puisse se faire bâtir une maison.
En bois ?
1737. Me Bartouilh, notaire et greffier du
duché de Nérac, constate que
les biens du duc de Bouillon
sont mis au pillage, tandis que Me de Cabannes, étant sur place, garde bien sa
portion.
Le 15 décembre 1739, le
garde forêt Antoine Daugreuilh Pavillon, qui, dans l’année a dressé une
centaine de procès-verbaux, supplie Me de Lamazelière de le relever de ses
fonctions. Il ne veut plus s’exposer à la mort. Il vient d’être mis en joue, heureusement
le coup à raté…
Me de Lamazielière, Président du Présidial de
Nérac, chargé d’enquêter par le duc de Bouillon, trouve alors plus judicieux de «donner à fief» des parcelles de Mauco.
Il attribue des parcelles notamment à la veuve du seigneur d’Ostignol et
d’Onnès, au vicomte d’Aurice, baron de Lamothe et de Leuy, seigneur d’Escoubès
et de Sainte-Araille, au seigneur de Lanneplan, juge de Mauco. Ce seigneur,
nommé Jean-Baptiste Durou, demande le droit de faire construire un moulin à
vent au lieu dit Peille de lin, où il compte également bâtir la maison du
meunier. Ce qu’il obtient contre 50 livres de droit d’entrée et 5 livres 3
deniers de rente annuelle.
1756, un conflit entre co-seigneurs aboutit à
l’arpentage de la co-seigneurie. L’Autrichien Jean Kint, arpenteur général des
Forêts de la généralité de Guyenne, établit à 2558 journaux la surface
d’icelle. Soit environ 1300 hectares.
1759, M. de Cabannes se plaint d’abattages
abusifs. Il engage un procès contre les usagers de la forêt.
Bas-Mauco avait seize feux
en 1767.
La Révolution fit de Haut et Bas Mauco une
commune unique. Les habitants de Mauco
décident, le 13 février 1792, de se partager les biens du duc de Bouillon et des
Jacobins, qu’ils estiment communaux, c’est-à-dire sur lesquels les habitants
ont des « droits communs ». Droits établis depuis 1287 ! Mais le
Directoire du Département n’approuvant pas, ils usurpent…. La commune est
scindée en deux en 1793. Haut Mauco rattachée au district de Mont-de-Marsan,
Bas-Mauco à celui de Saint-Sever. Bas-Mauco installe une maison commune à
Sainte-Eulalie, où ils déjà existait une école une église.et un cimetière.
Le 9 Vendémiaire an VII (1798), la forêt de
Mauco est mise sous la main de la Nation. Le garde général des
Forêts Nationales à Tartas constate, huit jours après,
qu’il ne reste pas un arbre
debout, que quelque peu de taillis qui repousse est dévoré par les bêtes à
laine envoyées journellement par les habitants de Mauco et des villages
voisins.(…) la Révolution étant survenue, les habitants et propriétaires de
Mauco se partagèrent entre eux (sic) une grande partie de la forêt.
1816. Retour de la royauté avec Louis XVIII.
Les héritiers du Duc de Bouillon retrouvent théoriquement leurs 652 hectares.
1830. Finalement, la Princesse Berthe de
Rohan n’obtient que 127 hectares, le reste étant considéré comme ayant été mis
en parcelles en 1757.
Ce n’est qu’en 1846 que la
Cour de Pau maintient finalement les détenteurs de parcelles de l’ancienne
forêt de Mauco dans la propriété de leurs biens, conclut Jean de Lobit.
Et l’on apprend ainsi que la Cour de Pau a
suivi le Parlement de Bordeaux plutôt que celui de Toulouse, en vertu du droit
commun et l’usage ancien observé en Guyenne. Les paroissiens avaient l’usage
des lieux communs sous certaines conditions. Ce droit commun issu du droit
romain ne reconnaissait pas la maxime «Nulle terre sans seigneur»
appliquée par le tribunal de Nérac, la cour d’appel d’Agen et défendue par le
Parlement de Toulouse.
Durant ces périodes de dégradation continue
de la forêt, les défenseurs des intérêts du duc ont toujours estimé qu’il lui
était plus profitable de percevoir un cens, que de voir les arbres - le
capital - abattus par les usagers. Et malgré cela, les chênes furent abattus.
Le droit d’usage avait été interprété comme un droit d’abuser ;
un droit «d’abusage», j’ose dire. Les guillemets de la «forêt» de Mauco
ont un sens tragique.
Vieux proverbe
L’idée que le patronyme
Maucor soit un sobriquet a fait long feu, même si de récents dictionnaires
n’ont pas brûlé l’idée[12][53].
Mais un autre contresens commis sur le
toponyme Maucor, transmis d’auteur en auteur, a la vie dure : Maucor, «mauvais
cœur», voudrait signifier terre ingrate. Pour dire l’ingratitude
qu’aurait une terre peu reconnaissante de l’effort des paysans à la cultiver,
du mal qu’ils se donnent. J’ai été moi-même tenté par cette explication. Elle
paraît satisfaisante, mais elle est finalement aussi impertinente que l’est
celle du sobriquet. Pourtant Maucor « terre ingrate » a tout l’air de
rappeler cette époque médiévale de défrichement intense de terres incultes,
autour de monastères, lorsqu’il fallut nourrir une Les paysans devaient gagner
des terres sur la forêt ou la lande. population de plus en plus importante.
Georges
Duby a superbement décrit l’Europe des siècles du Grand Pardon, c’est-à-dire du
pèlerinage à Compostelle :
Très peu
d'hommes - les solitudes s'étendent vers le Nord, vers l'Est, immenses, et
elles finissent par tout envahir -, des landes, de marécages, des rivières
vagabondes et des terres dépeuplées, parfois des bois, tout près, toutes les
formes dégradées du bois après l'incendie de la broussaille ou les semailles
furtives de ceux qui brûlaient les bois. De temps en temps, un espace de terre
conquise par l'homme et presque sans apprivoiser : sillons superficiels,
dérisoires, que les charrues en bois, tirées par de maigres bœufs laissaient
sur la terre ingrate. De loin a loin, une ville
pénétrée par le monde rural, et qui n'était que le squelette farci d'une ville
du temps des romains. Elle était, peut-être, une muraille rapiécée du temps de
l'Empire, et des bâtiments de pierre travaillée, profités pour bâtir des
églises ou des châteaux dans ce qu'il en restait debout. Puis, une autre fois
la forêt.
Ce que dit Georges
Duby de la terre ingrate concerne l’Europe en général, qui peine à cultiver.
Partout les bœufs sont maigres, partout la terre donne peu, malgré tous les
efforts. La terre prise sur la Forêt de Maucor aussi, bien sûr. Mais est-elle
plus ingrate qu’ailleurs ? Terre-Neuve, Baloutchistan, Sierra Nevada,
Limousin, Turquie, Ouzbékistan, Burkina, Corse, Ecosse, Lubéron et même Médoc –
qui a malgré tout donné le Château Pichon Longueville Comtesse Lalande, 1°
grand cru classé - toutes ces terres qualifiées d’ingrates… Si bien que
l’ingratitude a trouvé une image dans l’expression «semer en terre ingrate».[13][54] Et la terre du Lauragais :
Regarde ces deux arbres, poussés sur la
colline,
Dans une terre ingrate ont poussé leurs
racines…
Faal
d’Occitanie, Les deux arbres.
Une terre où deux
arbres font une forêt est une terre ingrate.Une terre qui donne une superbe
forêt de chênes ne peut l’être.
Des noms de lieux
gardent ici la mémoire de cette époque de dures conquêtes. Certains ont
rapproché Maucor et Crèvecœur, du Pays d’Oil. D’autres, dans le même fagot,
l’ont lié avec rancœur (rancor, en bas latin).
Malcuer,
en vieux français, c’est aussi, et entre autres, ressentiment, comme mauco,
suivant la définition de Simin Palay. Explication faussement solide parce
qu’anachronique ! Ne l’oublions pas : Maucor a désigné une grande
forêt, avant de désigner une terre en partie cultivée. David Chabas, un Landais
qui connaît le pays landais mieux qu’un savant toponymiste, écrit[14][55] :
La grande forêt de chênes de
Maucor tient une place notable dans l'histoire de Bas-Mauco.
Et il voit
dans cette forêt traversée par les pèlerins un «mauvais
lieu, passage précaire». Mais pas une
terre ingrate !
Pour nous
convaincre définitivement de la faiblesse des arguments en faveur de la «terre
ingrate» pour qualifier la Forêt de Maucor, il faut lire ce qu’en écrivait le
26 thermidor an XII (Août 1804), le Directeur des Domaines des Landes à
M.Bernadotte, Conservateur de la 12° Conservation des Bois et Forêts de
Pau :
Il
existe une lande très considérable, autrefois partie en futaie et partie en
taillis, appelée de Mauco. La terre en est excellente. Par arrêté du 29
frimaire an XI, le Département la régit. Si la forêt était close, la Nation
pourrait en tirer de grands avantages.[15][56]
Le débat, lui, est clos. La Forêt de Maucor
est bien un de ces lieux qui ont fait dire à nos ancêtres :
Bonne terre, mauvais
chemins.
Mon copain le
chêne, mon alter ego.
Georges Brassens
Le 5 août 1548, Damoiselle
Marguerite de Cauna, dès après son mariage, vendit sa part de notre Forêt de
Maucor, une partie de sa dot, au roi de Navarre. Avec licence et permission
de son mari, noble Paul seigneur et baron d’Andouins. Les d’Andouins
devaient être endettés, estime M.Ferron. «Plaie d’argent n’est pas mortelle».
Pour l’évènement se trouvent
réunis à Sébignac (Sévignacq), en Béarn, autour de Henri II, roi de Navarre,
bailleur, outre les d’Andouins, vendeurs, messire Jacques de Foix, évêque de
Lescar, Monsieur de Candalle, Tristan baron de Monein, sénéchal de Béarn, Jean
d’Albret, sénéchal de Foix, et surtout Jean de Serres, maître particulier de la
monnaie de Morlaàs. Le haut du pavé.
Ce qui ce jour là nous intrigue n’est ni que
les terre et seigneurie de Maucor changent une fois de plus de main, ni le
piteux état de la bourse des d’Andouins. C’est que Jean de Serres, seigneur de
Maucor[16][57], puisse assister sans mot dire à la
vente d’une seigneurie de Maucor autre que la sienne. Mettons-nous à sa
place. Il y avait autour de la table un autre seigneur de Maucor, son alter
ego, son «autre lui», son double, son duplicata, son clone, son homonyme, en
quelque sorte ! J’imagine que le titre équivoque dut alimenter la
conversation lors du repas qui suivit. Et l’on ne manqua pas d’évoquer le cas
des deux Henri II, le présent roi de Navarre et son contemporain voisin roi de
France.
De l’harmonie
en toutes choses
Quouan las besties
soun près, qué caü siüla tout dous.
Quand les vaches
sont près de nous, nous sifflons doucement.
Un Jurat ossalois[17][58]
La
Forêt de Maucor est bien notre clé. Mais quel chemin mène un Maucor à la porte
d’entrée en Béarn ? Nous savons seulement que la porte s’ouvre entre 1290
et 1385, comme nous l’avons vu à Morlaàs. (Rappelons-nous que pas un sieur de Maucor
n’est identifié en Béarn en 1290, selon les Notices).
La Forêt est située aux confins du pays
d’Albret, de la Chalosse (Saint-Sever) et du Marsan (Mont-de-Marsan), aux
frontières mouvantes. Elle avait en ce temps deux co-seigneurs : le
seigneur d’Albret depuis 1308 et le seigneur de Cauna (Chalosse) depuis 1274,
tous deux vassaux du roi d’Angleterre.
Hélas, dans son article «La “forêt” de
Mauco», Jean de Lobit ne dit rien de plus sur ce siècle et le suivant.
Pourtant il fut celui de Gaston III Fébus, seigneur souverain de Béarn, comte
de Foix, vicomte de Marsan, de Gabardan, de Nébouzan, de Lautrec et des
Terres-Basses d’Albigeois, co-seigneur d’Andorre, de 1343 à 1391.
Dès sa prise de pouvoir le
jeune Fébus fait avec sa mère une grande tournée d’hommages sur ses terres. Il
commence par Morlaàs. Le 27 février 1344 il est à Mont-de-Marsan. La cérémonie
eut lieu au Cers, un bois de chênes ! Le chêne, arbre hautement
symbolique, comme l’était le chêne de Guernica ou du roi Saint-Louis. Gaston
s’engageait le premier à respecter les droits et libertés locales et à défendre
ses vassaux du Marsan, avant de recevoir l’hommage de l’assemblée de la
cour dels Sers, de la forêt de Cers. Mais nous n’avons pas aperçu dans
cette noble assemblée les seigneurs d’Albret et de Cauna, co-seigneurs de
Maucor. De plus les seigneurs d’Armagnac revendiquaient le Marsan…
En 1347, Fébus avait déclaré,
souverain : Je ne tiens ma terre (de Béarn) que de Dieu et de
mon épée. Donc d’aucun roi, ni de France, ni d’Angleterre. Il renvoyait dos
à dos ces deux rois en guerre (de Cent Ans). Mais pour les terres autres que
celles du Béarn, il ne pouvait en dire autant.
Tout devint presque clair
après la fameuse bataille de Launac, le 5 décembre 1362. Les troupes de Gaston
Fébus écrasèrent celles des Armagnac et de ses alliés, parmi lesquels nous
retrouvons Arnaud-Amanieu d’Albret, co-seigneur de Maucor ! Arnaud-Amanieu
fut fait prisonnier et, devant payer une belle rançon, les Albret
perdirent-ils là la co-seigneurie de Maucor ? La victoire eut deux
conséquences : Gaston et le Béarn devinrent très riches grâce aux
rançons et les vaincus ne contestèrent plus la vicomté de Marsan[18][59] à Gaston…qui devait malgré tout hommage au
Prince Noir anglais pour le Marsan, terre de Gascogne. Mais Gaston, Prince des
Pyrénées, demanda au Prince Noir une redevance pour laisser ses troupes gagner
l’Espagne par le Béarn !
L’énorme trésor de
Orthez constitué par les rançons de ses prisonniers de Launac, Fébus
l’arrondissait en affranchissant les serfs contre redevance. Riche donc, Fébus transforma
ses terres, jusque et y compris Mont-de-Marsan, en un pays ceint de tours se
dressant haut dans le ciel, dit-on à sa gloire[19][60]. Le Béarn attira les ambitieux.
Qu’en ces riches heures un dénommé Maucor passe la «frontière» de Béarn pour
s’y établir n’est que logique. Voilà une déduction qui est loin d’être hardie.
Reconnaissons
toutefois que des années 1050 (du temps de Unaud vicomte de Maucor) à 1385
(quand furent répertoriés les Maucor et Maucoo du Béarn imposables par Gaston
Fébus), plus de trois siècles de vide documentaire troublent encore notre
sérénité. Mais nous venons d’entrevoir les conditions favorables par lesquelles
un sieur de Maucor a pu entrer en Béarn durant la période 1290-1385.
La raison de ce
déplacement ? Les affaires, donc.
Toujours bien
réfléchi, sachant ce que nous savons, disons qu’un Maucor «héritier» de Unaldus,
vicecomes de Malker, a pris la route du sud pour le Béarn, suivant le
chemin de Compostelle, attiré par le «riche bailliage de Lagor», à 50 km de la
Forêt. Il s’y installe et devient domenger, avec maison noble. Et c’est à
la génération suivante, en 1385, que nous comptons en Béarn quatre feux de
Maucor.
D’une belle
confluence d’indices en supputations, de faits établis, de conjectures
convergentes, naît une conviction taillée dans le roc, que dis-je, dans le
marbre le plus beau. Maintenant règne une douce harmonie. Les éléments s’assemblent dans une
belle cohérence. Maucor est né en Chalosse ! Maucor vient de
Chalosse !